Intervention de Narguesse Keyhani et Cécile Rodrigues au séminaire recherche le 29 janvier 2018

Lundi 29 janvier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Cécile Rodrigues, ingénieure d’étude en production et analyse de données à l’Institut des Sciences sociales du Politique (ISP-CNRS) et Narguesse Keyhani, sociologue actuellement en post-doctorat au Centre d’Etude de l’Emploi et du Travail, pour la présentation de l’étude collective « Des paroles et des actes : la justice face aux infractions racistes » à laquelle toutes deux participent.

Cette étude collective s’intéresse au traitement judiciaire des infractions à caractère raciste et aux logiques qui conduisent à la qualification ou non d’un acte comme raciste au sein de la chaîne judiciaire. L’enquête, menée dans trois tribunaux, s’apparente à une étude de cas et souligne l’importance du contexte politique et social. Quelques résultats provisoires ont néanmoins été avancés.

L’enquête se base sur deux types de matériaux : des entretiens et observations dans les tribunaux, nécessaires pour retracer le travail des parquetiers-ères, celui-ci étant bien moins documenté que celui des policiers-ères. Une base de donnée a aussi été constituée à partir de l’examen des dossiers archivés, dégageant deux types de variables utilisées dans la suite de l’enquête : des variables objectives (décisions judiciaires) et des variables subjectives (qualification du racisme).

Si l’accent est mis sur le traitement institutionnel des infractions racistes, les dossiers constituent une source féconde d’informations pour fonder une typologie des auteurs et victimes, autre objectif de l’enquête. On peut ainsi observer une forte présence de victimes catégorisées comme maghrébines (36,6%) et noires (18,4%). Les intervenantes montrent en outre l’existence de situations typiques (altercations avec des vigiles de supermarché…). Un résultat s’est avéré « inattendu » : le nombre important d’affaires « entre minorités », c’est-à-dire entre individu-e-s racisé-e-s ou perçu-e-s comme tel.

Cette recherche montre l’importance du travail policier dans le processus de judiciarisation, notamment par l’évaluation et la qualification des faits rapportés. Le comportement des plaignant-e-s et leur passé judiciaire constituent autant d’éléments qui peuvent mener à une qualification en tant que « mauvaise victime » et à un classement sans suite.

Le classement sans suite pour « infraction insuffisamment caractérisée » questionne l’importance de la parole de la victime face aux institutions. Les magistrat-e-s peuvent par exemple choisir de classer l’affaire, la considérant comme n’étant pas assez grave pour aboutir à un jugement. Il faut souligner que la majorité des affaires (74%) se terminent par un classement sans suite.

Cette enquête aborde la recherche sur les actes racistes sous un nouvel angle. La compréhension des rouages de la chaîne judiciaire pourra permettre de mieux appréhender le traitement spécifique de cette réalité sociale et au-delà de l’analyse institutionnelle, d’apporter des éléments pour une sociologie des actes et acteurs-rices concerné-e-s.

 

Cette séance a eu lieu dans le cadre du séminaire Master de science politique de l’Université Paris 8, animé par Sylvie Tissot en 2017-2018.