Intervention de Louise Tassin au séminaire recherche le 25 février 2019

Sous-traiter le contrôle migratoire : les agents privés dans les centres de rétention en France et en Italie.

L’entretien filmé et le compte-rendu ont été réalisés par l’équipe d’étudiant-e-s qui a animé et préparé la séance :Cassandre Camus, Héloise Wislez, Louise André Williams, Morgane Fleury, Manon Amirashahi et Sarah Bonnot-Zuber.

Vous pouvez visualiser l’entretien ici :

https://vimeo.com/316297515

Lors de notre séance de séminaire du lundi 28 janvier, nous avons eu le plaisir d’accueillir Louise Tassin. Deux heures d’intervention n’ont semble-t-il pas suffi tellement il semblait avoir de phénomènes à explorer. La discussion fut vive et bien nourrie. Louise Tassin est doctorante en sociologie à l’Urmis, sa thèse s’intitule : « Les ouvriers discrets du contrôle migratoire. Enquête sur la gestion publique-privée des centres de rétention dans l’Union européenne : Paris, Lampedusa, Lesbos. »

Sa recherche se situe à la croisée de la sociologie de migrations, de la sociologie du travail et de la sociologie de l’action publique et questionne la délégation du travail migratoire à des acteurs privés. Louise Tassin nous offre une approche originale des politiques migratoires européennes, généralement pensée sous l’angle du sécuritaire, en s’intéressant aux enjeux économiques ce qui permet de révéler la contradiction entre service public et intérêts privés.

Pour ce faire, Louise Tassin centre son étude sur les CRA, les Centres de Rétention Administrative, de Paris, Lampedusa et Lesbos, dispositif dérogatoire aux droits humains. L’auteure, qui a pu avoir accès au CRA de Vincennes, a regardé non pas ce qui fait exception mais au contraire ce qu’il s’y passe au quotidien, la manière dont la rétention a été normalisée, le quotidien des pratiques, des approches, des discours des acteurs de la rétention.

Le développement de la sécurité privée est peu documenté en France car les terrains sont difficiles d’accès et le rôle des acteurs privés est à priori marginal. Cependant, les agents privés servent d’intermédiaires entre les retenus et les autres et jouent donc un rôle plus important que prévu. De plus, ils ont une situation sociale relativement proche des retenus, ce qui brouille la frontière entre les enfermants et les enfermés.

Ainsi, dans quelle mesure la sous-traitance affecte ou non la mise en œuvre des politiques d’enfermement ? L’auteure relève qu’elle entraine une division genrée et ethnicisée au sein des CRA avec les femmes dans le médical et le « care », et les hommes surtout en charge de la sécurité.

De plus, le travail moins valorisé est fourni surtout par des immigrés/étrangers en situation précaire. Les agents assistent les retenus bien au delà de l’aspect logistique en menant des activités informelles de médiations, de surveillances, de maintien de l’ordre. Les agents privés se retrouvent à exercer des missions régaliennes. En réaction, ils adoptent plusieurs postures : une critique de l’institution qu’il faut humaniser, les légitimistes exercant un zèle institutionnel. Et les légalistes qui s’en tiennent aux règles.

On assiste finalement à un glissement du rôle de l’Etat, qui ne gère plus les personnes mais les flux. Cette délégation au secteur privé de la surveillance entraine une dilution des responsabilités de l’Etat dans les CRA. Les agents privés précaires et stigmatisés essuient les critiques et l’Etat ne se remet pas en cause. Les retenus en subissent les conséquences. 

Cette séance a eu lieu dans le cadre du séminaire Master de science politique de l’Université Paris 8, animé par Sylvie Tissot en 2018-2019.