Intervention d’Ilana Eloit au séminaire recherche le 25 février 2019.

Histoire des lesbiennes : archives et théorie queer

L’entretien filmé et le compte-rendu ont été réalisés par l’équipe d’étudiant-e-s qui a animé et préparé la séance : Lucile Faivre-Pierret, Benjamin Michelis, Nessim Mouhoubi, Eva Teixeira, Sabrina Zelassi, Elena Louazon, Paul Dray-Farges.

Vous pouvez visualiser l’entretien ici :

https://vimeo.com/321708425

Ilana Eloit, docteure en études de genre, est venue présenter sa recherche sur les liens entre féminisme et lesbianisme.

Dans sa thèse, elle se concentre sur l’histoire du Mouvement de libération des femmes (MLF). Elle interroge notamment la politisation de l’oppression des femmes du point de vue de la sexualité et du privé. Elle démontre que le mouvement a porté une vision hétéronormative, incapable de penser l’hétérosexualité comme un rapport de pouvoir.

En ce sens, sa perspective critique renouvelle l’historiographie du féminisme qui faisait jusque-là consensus autour d’un point : le MLF aurait non seulement accepté les lesbiennes, mais également permis l’éclosion du mouvement lesbien. Ilana Eloit souligne qu’il en est autrement : le lesbianisme a été brimé et nié, car le MLF s’est fondé sur une sororitéuniversaliste qui prétend représenter toutes les femmes autour d’un « nous », mais désigne en réalité des femmes semblables. Les lesbiennes, qui revendiquent une différence, sont accusées de trahir le mouvement féministe.

En 1980, Monique Wittig, co-fondatrice du MLF, publie On ne naît pas femme et La pensée Straight, des écrits qui questionnent et politisent la norme de l’hétérosexualité. Ils sont violemment rejetés. Au même moment, un mouvement de lesbiennes radicales se forme. Il accuse les féministes universalistes de mettre en place des stratégies pour forcer les lesbiennes au silence et à l’invisibilité. Cela se traduit notamment par des propos ouvertement lesbophobes dans certains écrits produits par des membres du MLF.

Cette tactique relève pour Ilana Eloit d’un « séparatisme sexuel  » : le MLF n’a pas oublié de représenter les lesbiennes. Au contraire, il avait besoin de se mettre à distance, de marquer un dégoût, pour pouvoir exister et se légitimer. Elle souligne malgré tout qu’il ne s’agit pas d’une opposition entre militantes hétérosexuelles et militantes lesbiennes, puisque certaines féministes radicales étaient lesbiennes.

Selon Ilana Eloit, l’exemple de l’histoire du MLF doit inciter à porter un regard critique sur les sources, qui peuvent porter et reproduire des systèmes d’oppression et d’exclusion, même sous couvert de « liberté sexuelle ». Les archives des militantes lesbiennes du MLF sont à ce jour toujours considérées par les chercheur.se.s comme des matériaux illégitimes à être utilisés dans leurs travaux, puisqu’ils ne proviennent pas des cadres du MLF mais des courants dominés du mouvement. De même, les termes que nous employons comme « libération », « femmes », « révolution », doivent être interrogés.

Cette séance a eu lieu dans le cadre du séminaire Master de science politique de l’Université Paris 8, animé par Sylvie Tissot en 2018-2019.