Intervention d’Amélie Le Renard au séminaire recherche le 5 mars 2018

Devenir occidental-e à Dubaï. Une approche féministe postcoloniale (5 mars 2018).

Après une thèse, soutenue en 2009, portant sur l’accès des jeunes saoudiennes à l’espace public dans la capitale de Ryad (Arabie Saoudite), les recherches les plus récentes d’Amélie Le Renard se sont dirigées vers l’étude des « Occidentaux.ales » dans la ville-Etat de Dubaï. Ses enquêtes sont fondées sur des séquences ethnographiques et des entretiens qu’elle parvient à effectuer en multipliant les séjours dans le pays avec un visa « touriste ». Son approche sociologique est issue d’une double influence théorique : le féminisme intersectionnel qui vise notamment à croiser les différents rapports de domination – race, genre, classe, nationalité et sexualité – et les études post-coloniales.

Lors de son travail de thèse, elle fait deux constats qui orientent ses recherches postérieures. Le premier est que son terrain en Arabie Saoudite comportait le risque de reproduire des relations de savoir-pouvoir qui ont, selon elle, une « dynamique impériale » qu’elle souhaite éviter. Elle choisit donc de redéfinir le type d’objet sur lequel elle travaille. Son second constat, survenu en côtoyant les françaisEs de Ryad, est tiré des stéréotypes très marqués qu’iels avaient concernant leur statut d’ « occidental ».

Elle axe alors sa recherche autour de deux questions de recherche : Quels sont les avantages structurels des Occidentaux.ales à Dubaï ? Et, quels types de subjectivités spécifiques façonnent ce groupe ? Autrement dit, comment se pensent-iels différentEs des autres habitantEs de Dubaï ?

Dans un premier temps, Amélie Le Renard analyse comment, par une « racialisation des nationalités », c’est-à-dire le fait de penser qu’une nationalité donnée correspond à une certaine apparence physique, s’établit une hiérarchisation des nationalités sur le marché du travail à Dubaï, à l’avantage des « Occidentaux.ales ». L’extrait tiré d’un entretien avec un manager allemand illustre avec précision le type de croyances structurantes sur le marché de l’emploi à Dubaï : « Ici on veut de la très haute qualité […] c’est pour ça qu’on recherche des occidentaux  ». L’enquête ethnographique par entretiens révèle ainsi comment de plus grandes compétences sont assignées aux Occidentaux résidant à Dubaï du fait de leur passeport. Ces avantages s’observent matériellement par de meilleurs salaires, des avancements de carrière très rapides et l’accès à des contrats avantageux.

La seconde partie de l’intervention décrit les différentes formes de vie active, nouées hors des cadres du travail, par lesquelles les « Occidentaux.ales » se distinguent à Dubaï, au travers de l’analyse de ce qu’Amélie Le Renard appelle « les intimités ». L’autrice distingue principalement deux styles de vie : les familles avec enfants, formés par des couples majoritairement blancs et hétérosexuels, où le mari est en contrat d’expatrié. Ces types de contrats placent ceux qui en jouissent dans une position « suravantagée » tant matériellement que symboliquement. Le second type de style de vie concerne les « occidentaux.ales » en contrat local, ayant le statut de « célibataire ». Leur position est ambiguë et montre à la fois une distanciation avec la ville décrite par eux comme « bling-bling » et « inauthentique », alors même qu’ils bénéficient d’avantages structurels sur le marché de l’emploi.

Grâce à un travail de réflexivité mené tout au long de ses recherches, Amélie Le Renard bâtit une réflexion critique féministe post-coloniale, permettant d’articuler finement les mécanismes de domination à l’œuvre sur le marché de l’emploi à Dubaï. Elle use ainsi de la conflictualité présente au sein des discours de ses enquêtés sur la ville (« diabolisation ») comme un outil de compréhension des rapports hiérarchiques entre les différentes nationalités, ainsi que comme une stratégie de distanciation dont usent les « Occidentaux.ales », révélant des positions privilégiées ambivalentes.

 

Cette séance a eu lieu dans le cadre du séminaire Master de science politique de l’Université Paris 8, animé par Sylvie Tissot en 2017-2018.