Présentation du travail de Jennifer Bidet le 26 février 2018

Les frontières du genre. Descendantes d’immigrés algériens face aux décalages de normes en Algérie.

En l’absence de l’intervenante, les étudiant-e-s (Jasmine Hamaoui, Charlotte Buosi, Ali Türek et Nina Villaume) ont décidé de faire eux-elles mêmes la présentation de l’article et du travail de Jennifer Bidet. En voici le compte-rendu.

Les femmes françaises, descendantes d’immigrés Algériens font-elles face à un décalage de normes genrées lorsqu’elles se rendent en vacances en Algérie ? Quelles sont les normes sexuées auxquelles elles sont confrontées ? Et quelles stratégies mettent-elles en place pour tenter ou non de les contourner ? Pour répondre à ces questions, Jennifer Bidet, maître de conférence à l’Université Paris-Descartes et chercheuse au CERLIS, propose de questionner le décalage de normes de genre entre le pays d’origine et le pays d’installation des descendantes et descendants d’immigrés Algériens.

Pour cela, elle a réalisé une étude ethnographique de 2009 à 2012, entre la région lyonnaise, en France et la région de Sétif, en Algérie. Elle a fait des observations in situ des pratiques de vacances et elle a mené des entretiens avec une cinquantaine de descendantes d’immigrés âgées de 18 à 50 ans. Ces entretiens ont été réalisés dans des contextes très variés et à plusieurs reprises. Les femmes enquêtées étaient seules ou en groupe, en France et en Algérie, dans des espaces privés et publics.

Selon la chercheuse, toutes les femmes et jeunes filles interrogées ne réagissent pas de la même façon au décalage des normes auxquelles elles sont confrontées lorsqu’elles sont en vacances en Algérie : si certaines s’en accommodent, d’autres cherchent à les contourner. Ces différences se comprennent principalement par la diversité des trajectoires sociales, qui les ont amené à intérioriser des goûts particuliers en matière de loisirs. Ainsi, les jeunes femmes aux parcours scolaires courts cherchent davantage à contourner les interdits, afin de faire « comme en France ». Les jeunes femmes diplômées quant à elles, peuvent accepter de se plier aux contraintes, qu’elles perçoivent comme une « immersion totale » dans ce qu’elles voient comme des « modes de vies locaux ».

Limites et discussion : Cette principale conclusion a amené les étudiants à formuler des hypothèses concernant les motivations des femmes à accepter ou non de se plier aux contraintes et aux normes de genre en fonction de leur niveau d’études et donc de leur classe sociale. Certaines et certains ont suggéré que les jeunes filles qui faisaient des études supérieures contournaient moins les interdits car elles étaient parvenues à jouir d’une certaine liberté, en France, en quittant le domicile familiale pour leurs études. Les contraintes et les interdits auxquelles elles sont soumises lors de vacances en Algérie seraient donc davantage considérées comme une parenthèse dans leur vie quotidienne d’autant plus que cela s’inscrirait dans une autre temporalité (celle des vacances permettant d’être quelqu’un de différent sur une période précise). Les jeunes filles n’ayant pas ou peu fait d’études n’ont probablement pas véritablement quitté le cercle familial en France. Elles sont donc davantage soumises aux normes genrées imposées par leur famille et leur milieu social moins mixte en terme de genre, notamment par rapport aux femmes ayant davantage de diplômes. Les vacances en Algérie viendraient donc probablement accentuer ce décalage de normes et les amèneraient davantage à tenter de les contourner comme elles le font en France.

D’autres étudiants ont supposé qu’il pouvait y avoir une volonté de transmission de certaines valeurs aux enfants par les femmes diplômées interrogées, à travers notamment, une recherche d’authenticité et de retour aux racines. Enfin, les femmes diplômées et leurs conjoints parviennent souvent à acheter une maison secondaire en Algérie. Selon certains étudiants, cette acquisition leur permettrait peut-être de prendre une certaine distance avec la famille sur place et donc de profiter d’une certaine liberté.

Nous avons aussi pu soulever quelques limites à cet article. Tout d’abord, Jennifer Bidet ne justifie pas pourquoi son étude en Algérie s’est concentrée sur la région de Sétif, cette ville n’étant pas une des plus grandes villes du pays et se situant à 80 kilomètres du littoral. Sans explications, cela peut sembler surprenant… De plus, la chercheuse fait une opposition entre espace public et espace domestique. Elle explique qu’il y aurait des espaces intermédiaires comme les centres commerciaux (accessibles uniquement aux femmes ayant suffisamment de ressources). Cependant, elle semble omettre la notion de Houma, le quartier, un espace semi-privé. Selon Nassima Dris dans le chapitre de Femmes et villes cité par Jennifer Bidet, la Houmaest essentielle pour comprendre l’implication du genre dans les usages de la ville en Algérie. On peut donc se demander pourquoi Jennifer Bidet étudie le contrôle social exercé par la famille mais à aucun moment celui exercé par les voisins, le quartier… Elle ne montre pas non plus le poids des femmes descendantes d’émigrés algériens dans la décision de partir en vacances… Est-ce que la majorité des descendantes d’émigrés algériens partent en vacances en Algérie ? Qui sont celles qui partent ? Est-ce que parmi celles qui ne partent pas, le genre est évoqué pour justifier le non-départ ? Les femmes partent-elles plus que les hommes ? En ce qui concerne les femmes mariées : est-ce que l’origine migratoire ou non du mari a une influence sur les rapports qu’entretienn le couple avec les normes familiales de genre ? Qu’en est-ils des femmes non-descendantes d’Algériens … ?

Ouvertures et perspectives : N’ayant pas eu la chance d’accueillir Jennifer Bidet pour lui poser ces diverses questions et discuter avec elle des hypothèses formulées par les étudiants, nous avons fait le choix de présenter deux autres articles de la chercheuse intitulés « Vacances au bled et rapports aux origines : l’espace comme support des identités » ainsi que « Revenir au bled. Tourisme diasporique, généalogique, ethnique, identitaire ? ». Cela nous a permis d’ouvrir d’avantage notre regard sur la production et la reproduction des diasporas à travers les pratiques touristiques, notamment par le lien entre le voyage d’agrément de courte durée et la migration subie dans un temps long. Il s’agissait aussi de nous intéresser à la multiplicité des espaces d’appartenance des individus et à la variation des manières d’être et de faire qui leur sont associées dans le but d’éviter une approche uniquement intégrationniste et potentiellement essentialisante des phénomènes liés aux migrations.

Enfin, nous avons choisis de mettre en perspective les recherches de Jennifer Bidet avec celles de Czarina Wilpert* et Gaye Petek-Salom** afin d’introduire une dimension comparée. Ces deux chercheurs proposent, en effet, une approche similaire à travers une méthodologie semblable, sur les émigrée.es turc et leur retour en Turquie. Le sujet n’est pas traité sous l’angle des vacances mais plutôt sur celui des unions inter-pays.

Conclusion, les femmes françaises, descendantes d’immigrés Algériens font face à un décalage de normes genrées lorsqu’elles se rendent en vacances en Algérie. Toutes ne se plient pas de la même manière aux contraintes auxquelles elles sont soumises. Cela diffère notamment en fonction de la position sociale qu’elles occupent.

 

**Gaye PETEK-SALOM, Migration et mutation des rapports familiaux, Le cas des femmes originaires de Turquie Isabelle Rigoni

*Czarina WILPERT, Adolescentes et brus : nouveaux visages féminins turcs en France, conflits inter et intra-générationnels